On est rentré dans le smartshop en joie. Faire nos ptites courses. Avant 2005 tu pouvais encore trouver des champotes secs dans les smartshops à Dam. Aujourd'hui y'a plus que des truffes en blister. Mais là, dans les rayons de la boutique, c'était carrément des tablettes de chocolat aux mushrooms... le piège à perché. J'étais à cette époque charnière où j'avais déjà pris plein de prods mais où j'avais aucune conscience d'une quelconque forme de précaution, autre que celle de pas en prendre trop souvent. Contexte, dosage... ces concepts m'avaient pas encore atteint. Le pire, c'est que j'avais cette aura du mec qui gère, alors les gens me suivaient à l'aveugle. J'étais avec Émilie, ma relation de l'époque, et elle ne faisait pas exception, elle me suivait les yeux fermés. Moi je me disais que si c'était vendu en tablette de chocolat, ça devait être de la quincaillerie, comme la plupars des capsules de prod à la con qu'ils vendent dans ces boutiques à touriste. J'en avais déjà essayé un paquet et les effets avaient été systématiquement absolument imperceptibles. Des trucs à base d'éphédrine ou de caféine. N'importe quel mauvais ristretto m'aurai plus transporté que ces pilules à deux balles. Donc j'avais classé ce chocolat dans la catégorie bullshit. On s'est posé dans la chambre d'hôtel et on a commencé à fumer des pets et à golri devant des émissions cheloues en Néerlandais qui passaient sur la micro télé fixée par un bras dans le plafond. On a commencé à piocher dans le chocolat. Comme Émilie avais jamais pris de champotes, je lui ai proposé de pas trop faire la ouf quand même... on sait jamais. Elle a pris quelques carrés... presque la moitié de la tablette et j'ai mangé le reste. Et je me suis enquillé la deuxième tablette complète. Le chocolat ça part vite quand je fume des bédos...
Bon bah première impression : c'est pas du bullshit du tout. La chose fonctionne impeccablement. La rigolade se transforme en sérieuse barre de rire. Le verdâtre des images dans la télé se répand dans la pièce, comme un brouillard lumineux. On partage cette même vision et on tripe dessus à s'en tuer les abdos de rire. Un moment, elle commence à se taper mécaniquement l'arrière du crâne sur la tête de lit en bois, sans vraiment s'en rendre compte, tout en continuant de se poiler. Je capte à ce moment-là qu'on est passé dans une dimension supérieure. Elle flippe un peu quand je lui fait remarquer qu'elle se tape la tête... J'essaye de la rassurer. Le dialogue prend une tournure étrange. C'est comme si une partie de la conversation se passait directement de conscience à conscience. On est à balle dans l'illusion de se parler sans se parler. C'est le dernier souvenir cohérent que j'ai de ce moment de la soirée. La suite, c'est la descente chez tonton Hadès. Tout le reste n'est qu'une soupe de souvenirs du pire voyage de ma life. Avec des étapes quand même.
La première phase, panique absolue, je n'ai plus accès à aucune connaissance... Je ne sais plus qui je suis ni où je suis. Encore moins quand on est. Que j'ouvre les yeux ou que je les ferme ne change pas grand-chose, j'hallucine tellement que plus rien n'est réel. Au milieu de ce raz-de-marée visuel, j'ai des flashes de ma vie... Mon daron... Mon taf... Mon meilleur pote qui me dit que j'ai merdé. Je capte bien qu'un truc monumental vient de m'arriver, mais je suis bien incapable de la moindre analyse. Je suis dans la pire panique. Parfois, dans mon délire, je capte à nouveau l'image d'Émilie au-dessus de moi. Elle essaye de me faire boire. Elle m'humidifie le visage. J'ai des accès de rage paniquée, j'attrape la bouteille, je me bats avec et la jette à travers la chambre. Émilie est complètement tripée et c'est pas comme si elle avait l'habitude. Elle essaye de gérer tant bien que mal. Elle voudrait descendre chercher de l'aide, mais on est dans le vieux centre d'Amsterdam, l'architecture ici, c'est Alice au pays des merveilles, les bâtisses sont toutes de traviole, et même clean, les escaliers de l'hôtel sont tellement abrupts qu'il faut presque un baudrier et une corde pour les descendre, alors perchée... Même pas en rêve. Alors elle tient la barre, elle reste à mon chevet et me rassure malgré mes spasmes et mes gesticulations erratiques. Moi, je suis au plus mal. Je me souviens qu'une des hypothèses qui me vient, c'est que je suis devenu fou. Je n'ai jamais été autant dans le présent. Toutes les trois secondes, mon cerveau fait une boucle. Il réinitialise toute ma réalité. De nouveau, j'entraperçois Émilie, baignée de lumière avec des ailes d'ange.
C'est vers ce moment-là que je passe à la seconde phase : celle où je crois que je suis mort. Parce qu'à ce stade, même la folie, c'est trop light comme phénomène pour expliquer ce que j'ai l'impression de traverser. Les ailes d'anges. Mon expérience qui boucle non-stop... J'ai sûrement cané à un moment et j'arrive juste plus à me souvenir quand. À ce moment, j'atteins un pic de terreur. Angoisse absolue. Les tsunamis d'hallus se succèdent. C'est vers là, je crois que je lâche l'affaire... Je me dis que si je suis mort... c'est plus vraiment la peine de tortiller du cul. Et bizarrement, de lâcher le steak, ça fait baisser de quelques décibels le volume de mes vagues d'angoisse halluciné. Je m'accroche à ça et je surf sur cette petite descente. Je continue de m'asseoir sur le fait que je suis mort. C'est pas si évident, j'ai des soubresauts de résistance, mais ils sont tellement violents que me résigne vite et revient à la solution la moins douloureuse. Cette dernière phase durera sans doute plusieurs heures... A la fin de cette partie du trip, je me lève pour aller aux toilettes et je me souviens de cette étrange sensation de frontière... je sens bien qu'une autre forme de réalité frappe à la porte, puis progressivement, d'image en image, la sensation d'être en vie qui refait surface. Ce sentiment de soulagement... Quand enfin, je me rends compte que tout ça n'était qu'un fucking mauvais trip.
Suite à ça, Émilie n'a plus jamais voulu entendre parler de substance et, à ce que je sache, elle a tenu jusqu'à aujourd'hui. Moi, j'ai fanfaronné là dessus quelques temps à raconter à qui voulais l'entendre que, cette nuit-là, mon ego avait clamsé, sans me rendre compte qu'en me vautrant dans cette fadaise, je n'avais jamais été aussi égotripé. Il m'a fallu quelques années pour vraiment prendre la mesure de ce qui m'était arrivé dans cette chambre. Aujourd'hui, quand j'entends que le mycélium est le réseau de la forêt, et qu'en gros, les champotes sont là pour transmettre les messages entre les créatures des bois, je me dis que, cette soirée à Amsterdam, ils m'en ont délivré un remarquable de message, les petits êtres chapeautés : à savoir que, surtout dans la pire des panades, le mieux à faire, c'est encore de lâcher prise et de faire avec ce qui est là plutôt que de résister avec acharnement contre le cours des choses. Et en bonus track, que mon ego n'est jamais aussi vivant que quand je le crois mort.